Maria et la malédiction des donuts bleus
Maria était une petite fille pétillante et pleine d’énergie qui avait tout pour être heureuse : des parents qui prenaient soin d’elle, des sœurs qu’elle adorait, toutes sortes de jeux à la maison, beaucoup de copains à l’école.
Elle vivait dans un appartement au sein d’une ville moderne avec de grands buildings vitrés. Tous les bâtiments y étaient beaux et épurés. Mais Maria trouvait qu’on s’y ennuyait. Cette couleur grise omniprésente était monotone, et les gens avaient toujours l’air pressés.
Pour se divertir, ses parents aimaient faire du shopping. Maria appréciait les accompagner lorsqu’ils se rendaient au centre commercial de la ville. Pas du tout pour s’acheter des vêtements ou des jeux divers, mais plutôt parce qu’elle avait repéré une petite échoppe qui dégageait quelque chose de particulier.
Il s’agissait d’un magasin de donuts, aux couleurs flashy, qui l’attirait irrésistiblement, sans trop savoir pourquoi. Comme si elle se sentait appelée, comme s’il y avait une odeur magique dans l’air qui l’invitait à en admirer la vitrine, sans jamais se lasser.
Elle avait tellement envie d’y entrer : toutes ces belles couleurs, ces néons, et puis surtout cette odeur enivrante. Elle pouvait passer des heures à regarder les nombreux donuts aussi alléchants les uns que les autres, exposés sur le comptoir. Si seulement elle pouvait en goûter un ! Mais ses parents n’appréciaient pas trop ce genre de sucrerie et lui refusaient à chaque fois.
Un jour, elle prétexta une sortie chez une copine pour se rendre discrètement au centre commercial. C’était décidé : elle allait enfin s’offrir l’une de ces délicieuses pâtisseries qui l’attendaient sur le comptoir. Quelle joie ! Elle en salivait déjà. Elle avait gardé quelques pièces de côté pour s’octroyer ce plaisir gourmand.
Lorsqu’elle entra dans le magasin, elle remarqua que l’atmosphère était douce, comme si elle entrait dans un cocon magique. Elle s’approcha du comptoir, et la vendeuse lui adressa un grand sourire éclatant. Elle était belle et rayonnante, comme si une certaine lumière s’émanait d’elle. L’étiquette accrochée à son uniforme indiquait son prénom : Audrey. Elle lui adressa alors doucement la parole :
- Bonjour ! Est-ce que je peux t’aider ?
- Oui… Euh… J’aimerais…
- Tu ne sais pas quel donut choisir ? Attends, je vais te conseiller !
Audrey commença alors à énumérer chaque saveur l’une après l’autre : banane, chocolat, myrtille, fraise, caramel beurre salé, praliné… Il y avait plus de cinquante sortes. Maria avait envie de toutes les choisir, mais elle ne pouvait s’en offrir qu’une seule.
- Tu hésites ? Lui dit la vendeuse. Je te propose de goûter notre tout nouveau donut, il est incroyable ! C’est le meilleur de tous, je te le garantis, et en plus il y a un secret à son propos…
Elle s’approcha de l’oreille de Maria, et lui murmura : « …Et en plus, il est magique ! ».
Magique ? Comment ça ? Maria se demanda comment un donut pouvait bien être magique ? Bien sûr, elle avait remarqué que ce magasin dégageait un aura particulier, mais il y avait-il réellement de la magie dans l’une des pâtisseries ?
« Tu veux goûter ? Allez, comme c’est la première fois que tu viens nous rendre visite, je te l’offre gratuitement ». La vendeuse lui tendit la pâtisserie, et la petite fille s’empressa de la mettre dans son sac. Elle avait hâte de la déguster, et de savoir ce que ce donut pouvait bien avoir de si spécial.
Maria s’empressa de retourner chez elle, et fila dans sa chambre. Elle ouvrit son sac, et en sortit le sachet en papier qui contenait le donut « magique ». Il était incroyablement joli : un glaçage miroir bleu clair recouvrait le dessus de la pâtisserie. On pouvait presque y voir son reflet tellement il était parfait. Puis cette odeur irrésistible… Elle en avala une bouchée.
Soudain… Tout sembla s’arrêter. La petite fille ressentait comme une étrange impression de flotter. Elle sentit chacune de ses papilles s’allumer au contact de cette saveur exquise, qu’elle n’arrivait pas à déterminer. Jamais de toute sa vie elle n’avait mangé quelque chose d’aussi bon. Jamais elle n’avait ressenti une sensation aussi agréable et douce. Elle avait l’impression d’être devenue aussi rayonnante que la vendeuse du magasin. Est-ce que c’était le fameux pouvoir magique du donut ? Rendre les personnes qui le mangent incroyablement heureuses, souriantes et détendues ?
Il fallait qu’elle y retourne. Vite. Elle devait à nouveau ressentir ce plaisir immense.
C’est alors qu’elle y retourna le lendemain. Et puis le surlendemain. Et puis tous les jours de la semaine. La vendeuse était tellement gentille. Elle lui offrait à chaque fois gratuitement ce donut magique si délicieux. Maria se prenait à rêver de la pâtisserie. Elle avait envie d’en manger à tout instant pour ressentir à nouveau cette sensation de bien-être, qui lui faisait sans doute oublier son quotidien d’habitude si ennuyeux.
Après deux ou trois semaines d’allers-retours au centre commercial, elle commença à remarquer que quelque chose en elle avait changé, sans trop bien pouvoir expliquer pourquoi. Comme si son teint était devenu bleuté depuis quelques temps. Elle commençait tout doucement à trouver ça gênant, surtout depuis le jour où son camarade de classe Hugo s’était moqué d’elle durant le cours de natation. « Hey Maria, tu as la peau tellement bleue qu’on ne va plus te voir dans l’eau ! Il faut arrêter de manger des myrtilles, sinon tu vas devenir un schtroumpf ! » Lui disait-il.
Dans les mois qui suivirent, tous ses camarades de classe se moquaient d’elle à cause de sa couleur de peau. Même ses anciens amis l’appelaient désormais « Schtroumpfette ». Elle ne voulait plus aller à l’école.
Elle se regardait dans le miroir, et elle n’arrivait plus à se trouver jolie. Cette couleur bleue ne lui plaisait pas. Elle était mal dans sa peau, et elle aurait tellement aimé posséder un autre corps afin de pouvoir retourner à la piscine sans subir de moquerie. Même ses parents lui faisaient des remarques, et commençaient à lui dire de cacher son visage avec du maquillage.
Audrey était venue la chercher un jour après les cours, et lui avait proposé de loger dans l’arrière-boutique du magasin de donuts. Elle était si gentille, si accueillante. Puis Maria aimait tant ses donuts, qui lui procuraient toujours autant de réconfort. Là, au moins, elle ne devait plus se cacher pour les déguster.
Et les semaines passèrent. Ses journées consistaient à manger des donuts, assise dans cette pièce sombre. Et sa peau devenait de plus en plus bleue. Il n’y avait pas de miroir dans la pièce où elle était, mais elle pouvait voir la paume de ses mains se colorer petit à petit d’un bleu clair brillant, ressemblant étonnamment à un glaçage miroir.
C’est alors qu’elle comprit. C’étaient les donuts qui lui donnaient cette apparence repoussante. Oui, ils étaient bien magiques : ils avaient le pouvoir de la colorer en bleu et de la rendre méconnaissable. Maria courut vers la porte pour s’enfuir. La vendeuse qui avait l’air si gentille l’avait bien eu !
Elle retourna chez elle. Elle se sentait rassurée, et jurait de ne plus jamais acheter l’une de ces pâtisseries maléfiques.
Les journées passèrent et Maria ne se sentait pas mieux. Son teint était toujours aussi bleu, et elle ressentait à présent un immense vide en elle. Comme une sensation de manque. Elle y pensait jour et nuit, à ces donuts si délicieux qui l’avaient ensorcelé. Elle avait l’impression qu’ils l’appelaient par la pensée, directement de l’étalage. Elle savait très bien qu’ils lui causaient du tort, mais elle n’en pouvait plus de se retenir de filer au magasin pour s’en offrir un. Juste un.
De temps en temps, elle croisait Audrey dans la rue. Elle lui souriait toujours avec son visage angélique. Mais Maria savait qu’elle n’était pas digne de confiance, qu’elle était maléfique. Puis elle la croisa sur le palier de la porte de son appartement. Elle l’attendait tous les jours. Elle lui parlait, l’incitait à retourner au magasin. Maria ne savait plus quoi faire pour la faire disparaître de sa vie. Mais elle n’osait rien lui dire. Elle se contentait de prier pour que ça s’arrête.
Puis, un jour, après avoir passé une journée difficile à l’école, toujours à cause des moqueries, elle décida de craquer. C’était de trop pour elle. Après les cours, elle suivit la vendeuse jusqu’au magasin de donuts. Elle lui en commanda alors une dizaine. Elle voulait oublier tout ce qu’elle subissait en classe, et ces pâtisseries si douces avaient le pouvoir de si bien la soulager, malgré le sortilège qu’elles contenaient. Elle cacha les donuts dans son sac, et retourna chez elle, sans en dire un mot à sa famille.
C’est ainsi qu’elle recommença à se rendre chaque matin au magasin de donuts, pour y chercher ces douceurs addictives. Et plus elle en mangeait, plus elle sentait le malaise qui l’envahissait. Et plus elle se sentait mal, plus elle avait envie de retourner en chercher.
Cette couleur bleue devenait tellement imposante sur tout son corps. Elle ne pouvait plus la cacher. Marie n’en pouvait plus de cette boucle sans fin. Elle souhaitait s’en défaire. Elle ne voulait plus jamais mettre les pieds dans ce magasin, ni même manger une seule de ces pâtisseries. Mais c’était plus fort qu’elle : ce sortilège la poussait à continuer, et elle ne savait pas comment le briser.
Un jour, ses camarades s’étaient encore une fois moqués d’elle dans les vestiaires avant le cours de gym. Maria s’était enfermée dans les toilettes pour pleurer toutes les larmes de son corps.
C’est alors qu’elle le vit apparaître : un grand téléphone noir, comme ceux de l’ancien temps avec les numéros à tourner avec les doigts. Comment était-il arrivé-là, comme ça, devant son visage ? Elle vit alors s’inscrire, sur la porte des toilettes, un numéro de téléphone, suivi d’un message : « pour recevoir de l’aide, appelez ce numéro ».
Maria n’en croyait pas ses yeux. Comment était-ce possible ? Mais si le téléphone lui était apparu de cette manière, c’est qu’il y avait forcément une raison. Était-ce encore un sortilège de la part de la vendeuse ? Ou était-ce justement une personne qui avait entendu ses prières, et qui allait l’aider à s’en sortir ? Elle composa alors le numéro et attendit la réponse avec impatience.
Quelqu’un décrocha. Une dame à la voix douce et rassurante répondit :
- Bonjour ! Je suis Marianne, si vous avez appelé ce numéro, c’est que vous avez besoin de mon aide. Que puis-je faire pour vous ?
- Euh… Je pense avoir été ensorcelée par une personne maléfique… Je n’arrive pas à me défaire d’une boucle sans fin.
- D’accord, dis-m’en plus ? Je vais voir ce que je peux faire pour toi. N’aies pas peur, aider les personnes en difficulté avec la magie, c’est mon métier. Tu peux vider ton sac et tout me raconter, car parler de ses soucis, c’est déjà le travail à moitié accompli !
Maria lui raconta alors tout ce qu’elle vivait depuis des mois. Chaque détail comptait, il ne fallait rien oublier, afin que Marianne puisse l’aider comme il se doit. Après tout, son but était de résoudre son problème pour aller mieux !
« J’ai la solution pour toi » lui dit Marianne. « La vendeuse du magasin de donuts t’a jeté le Sort du Bleu Miroir. C’est un sort qui ne peut être soigné que par un antidote puissant. Mais il est rare et difficile à trouver. Tu devras ouvrir ton cœur pour prendre l’antidote, car oui, il se situe à l’intérieur de toi ».
- Mais comment faire pour récolter un antidote qui se situe à l’intérieur d’un cœur ? Et le mien en plus ? C’est impossible ? Je ne vais pas me charcuter la poitrine pour…
- Rien n’est impossible, voyons ! J’ai une clé magique pour toi, et je te l’offre.
- Merci, c’est bien gentil, mais s’il y avait une serrure sur mon corps, je serais au courant !
- Ne t’inquiète pas, tu pourras ouvrir ton cœur quand le bon moment sera arrivé. Aie confiance. Tout rentrera dans l’ordre, tu verras.
- Mais…
Marianne raccrocha aussitôt. Et le téléphone se transforma alors en une grande clé en or. Maria la saisit. « Mais que vais-je bien pouvoir faire de cette clé ? » se dit-elle.
Les jours passèrent et Maria continuait à ramener des donuts pour les manger en cachette. Elle n’en pouvait plus. Ses sœurs, qui l’avaient entendu pleurer, frappèrent à la porte de la chambre. Elles s’inquiétaient, et souhaitaient en discuter.
« Maria, tu peux tout nous dire, on est là pour t’aider nous ! » lui dit sa sœur Lucie. Et comme la petite fille n’en pouvait plus, elle décida de tout leur raconter. Elle n’oublia aucun détail : la vendeuse, les donuts, les problèmes à l’école, son mal-être, le coup de téléphone avec Marianne, et puis enfin, la clé magique.
Un grand sentiment de soulagement l’envahit alors, rien qu’en évoquant tout ceci avec ses sœurs. Comme si elle s’était déjà déchargée d’un poids. « Regarde ! » lui dit son autre sœur Zoé, « regarde ta poitrine ! ». Maria baissa les yeux, et pu l’apercevoir : une serrure en or venait d’apparaître à l’emplacement exact de son cœur. Mais la clé ne pouvait pas encore y être insérée, elle était trop étroite.
- Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Dit Maria.
- J’ai compris ! Lui dit sa plus jeune sœur Anna, tu dois laisser parler ton cœur. Tu t’es confiée à nous, et tu as déjà franchi une première étape. C’est pour ça que la serrure est apparue. Mais je suis sûre que si tu en parles aussi aux parents, elle fonctionnera !
Elles filèrent dans le salon, dans lequel son père et sa mère regardaient la télévision.
« Papa, maman, j’ai quelque chose d’important à vous dire » leur dit Maria, la gorge nouée et les larmes aux yeux. C’était très difficile pour elle de leur en parler, d’avouer tout ce qui lui était arrivé, d’avouer qu’elle avait désobéi, de mettre les mots sur ce qu’elle subissait à l’école.
Les parents comprirent qu’elle avait besoin de toute leur attention, et coupèrent la télévision. Elle leur raconta alors tout ce qu’elle avait sur le cœur. Tout ce qui lui pesait depuis si longtemps. Elle pleura d’émotion. Elle s’attendait à une réprimande, mais ce fut tout le contraire : son père et sa mère la prirent dans leurs bras, puis ce fut le tour de ses sœurs. Elle pouvait enfin les entendre dire combien ils l’aimaient, combien elle comptait pour eux, combien ils étaient prêts à tout pour trouver une solution à son problème. Et qu’ils iraient, ensemble, combattre cette sorcière de vendeuse.
C’est à ce moment-là qu’une lumière vive se mit à sortir de sa poitrine. La serrure s’était illuminée et rayonnait à travers toute la pièce. Elle y inséra la clé, et son cœur s’ouvrit doucement. Elle n’avait pas mal. Elle ne ressentait que de l’amour, de la joie, du bonheur. Elle attrapa alors une minuscule petite fiole contenant un liquide rouge brillant, avant de refermer la serrure, qui disparut aussitôt.
Elle but le liquide, et son teint pu revenir à la normale. Elle n’avait plus du tout envie de manger de pâtisserie. Elle se sentait incroyablement bien, le cœur léger. Ce soir-là, toute sa famille passa un moment inoubliable, les uns blottis contre les autres, autour d’un bon repas. La malédiction était brisée.
Le lendemain, avec ses sœurs, elles filèrent au centre commercial afin d’être certaines que tout était bien fini. Elles se rendirent au magasin de donuts, qui avait disparu. À la place, elles pouvaient apercevoir un vieux bar miteux, couvert de poussière. À l’intérieur, une vieille dame aux allures de sorcière les regardait. Elle avait le teint bleu foncé, et elle était très cernée, l’air dépité. Elle portait le même uniforme que la vendeuse du magasin de donuts, avec une étiquette indiquant son prénom : Audrey. Son vrai visage avait été révélé en mettant fin à la malédiction.