Le passage de Petit Indien

Lorsque Petit Indien eut atteint l’âge de 12 ans, il fut soumis à l’épreuve attendue mais aussi redoutée du «passage». Tous les membres de sa tribu avaient parcouru au même âge le même chemin, et chacun y était arrivé, en empruntant parfois des chemins de traverse, en se perdant souvent, mais peu importe le temps nécessaire, peu importe l’itinéraire, le but final les attendait toujours : ils avaient tous honoré leur grand rendez-vous avec la cascade d’argent.

Le grand jour arriva. Ses parents, légèrement inquiets mais surtout très fiers de lui, avaient préparé petit indien depuis sa naissance. Son père lui avait rappelé tout ce que les ancêtres leur avaient transmis, et ce depuis la nuit des temps. « Écoute et observe Mère Nature, elle a toujours un message à te donner. Reste le petit garçon courageux que tu as toujours été ». Sa mère avait posé la main sur le cœur de petit indien et lui avait dit : « écoute ta petite voix et avance avec confiance. Reste le petit garçon sensible que tu as toujours été ». Fort de ces conseils et de ces encouragements, le jeune garçon pris la route le matin de la pleine lune des longues nuits.

Le départ se faisait toujours du village, à l’aube, et toute la tribu était rassemblée, sa famille, ses amis, ses voisins, ils arboraient tous leurs plus belles parures. Leurs chants et leurs danses lui donnèrent du courage quand il prit la route. Il attendit d’être assez loin pour se retourner et leur faire un dernier signe, car il ne voulait pas qu’ils voient les larmes couler sur ses joues. Petit Indien étaient généralement courageux, mais là, il avait peur…

Les consignes pour le voyage étaient les mêmes pour tous et étaient données aux jeunes par le chef du village. « Petit Indien, voici venu ton tour. L’épreuve du Passage dure un jour et une nuit. Part vers le Nord, garde ton cap, et tu atteindras la cascade d’argent. Comme le veut la tradition, tu effectueras ton voyage seul. Que la force soit avec toi ! ».

Il marchait déjà depuis plus d’une heure dans la plaine, et s’aidait des mouvements du soleil pour garder la bonne direction. La plaine était immense et vide, il se sentait seul et un peu perdu. Les rochers et quelques plantations étaient ses seuls points de repères, mais tous se ressemblaient. Il faisait déjà chaud et il avait seulement croisé trois lézards jusque-là. Soudain, une bourrasque de vent vint réveiller ce paysage presque lunaire. Il dû se cacher les yeux avec son bras tant le vent devint fort et le sable piquant. Le ciel était devenu noir et le tonnerre grondât au loin. Il n’avait jamais vu une tempête arriver si vite. Il perdit l’équilibre et se sentit happé vers le haut. Deux pinces lui enserraient les épaules. Il cria mais ne comprit pas tout de suite ce qui lui arrivait. Il dû perdre connaissance car il se réveilla quelques km plus loin, à l’orée de la forêt. Le ciel était redevenu calme. Quand il ouvrit les yeux, il se trouvait devant un aigle imposant qui le regardait intensément. « Bonjour Petit Indien. Bravo, tu viens de réussir la première étape de ton long voyage. Tu as bravé tes peurs et tu as affronté la solitude. Je t’ai accompagné et je t’ai transmis ma force. Une longue vie t’attend, à toi de la rendre belle. Souviens-toi toujours de mes conseils. N’hésite pas à prendre de la hauteur pour observer la situation, apprends à te connaitre et tu comprendras le monde ». Petit Indien était resté bouche bée devant l’oiseau majestueux. Il avait l’impression d’être dans un rêve. Il se pinça discrètement la main, se frotta les yeux très fort, mais non, l’aigle était toujours là, juste devant lui. « Je te laisse, Petit Indien, car tu as encore du chemin ». Le rapace lui indiqua le Nord du bout de l’aile puis pris son envol gracieusement. Une de ses plumes était tombée au sol, Petit Indien la ramassa et la rangea précieusement dans sa besace.

Il rentra dans la foret, marcha, marcha et pensa beaucoup à la tempête qui s’était levée dans la plaine et à sa rencontre avec le roi des oiseaux. Il avait hâte de raconter ce qu’il avait vécu à son papa.

Le foret était dense, Petit Indien suivait le sentier en serrant sa besace contre lui pour se donner du courage. Il se souvenait des mots de son père « Après la plaine, tu arriveras dans la forêt, et il sera près de midi. Tu pourras manger ce que Maman t’aura préparé et te rafraichir dans la rivière, mais ne tarde pas trop, tu dois être arrivé aux rochers avant la nuit ». Il entendait le bruissement de l’eau droit devant, la rivière n’était pas loin. Il s’installa les pieds dans l’eau et sortit son encas. C’était délicieux, comme tout ce que sa maman préparait. Le soleil perçait à travers les branches d’arbres, les oiseaux chantaient, l’eau était fraiche et grouillait de poissons. Petit Indien eut l’idée d’en attraper quelques-uns avec les mains, c’était son jeu préféré. Il avait de l’eau jusqu’au coude et restait déterminé : « je me remettrai en route dès que j’en aurai attrapé un ! ». Soudain, il sentit un courant électrique dans son bras, et vit une vipère filer dans l’eau. Il avait été piqué ! Il avait très mal et les larmes lui montaient aux yeux. Qu’allait-il faire, ici, tout seul ? Qu’il avait été bête de vouloir jouer alors qu’une mission beaucoup plus importante l’attendait. Il vint s’assoir au pied d’un chêne et observa la morsure. C’était rouge, gonflé et très douloureux. Il avait juste une envie, repartir dans l’autre sens et retrouver ses parents. Il ferait son épreuve du passage une autre fois, tant pis, il fallait maintenant soigner son bras. Il ferma ses yeux pleins larmes, pris appuis avec son dos et sa tête sur l’arbre et réfléchis. Il était en train de refaire tout le chemin inverse dans sa tête quand il entendit une petite voix « Tu t’es assis exactement au bon endroit, Petit Indien ». Il ouvrit les yeux, ne vit personne et se dit « ça y est, la douleur me fait délirer, j’entends des voix ». « Ferme les yeux, Petit Indien. Seul ton cœur peut m’entendre ». Le jeune garçon s’exécuta. « Je suis l’esprit de l’arbre contre lequel tu es assis. Je détiens les secrets de notre Terre Mère, je les ai transmis à tes ancêtres et ce depuis la nuit des temps. Je vais t’indiquer comment soigner ta blessure ». La voix était profonde et rassurante, Petit Indien était certain de l’avoir déjà entendue. Il se sentait comme bercé et une douce chaleur venant du tronc se diffusait dans tout son corps. « Lorsque tu ouvriras les yeux, tu te sentiras déjà mieux, et tu prendras quelques feuilles de la plante qui se trouve à coté de toi, tu les froisseras légèrement et tu les apposeras sur ta plaie. Cela désinfectera la morsure et calmera ta douleur. Tu n’es plus un enfant, Petit Indien, tu affrontes maintenant des épreuves qui te font grandir un peu plus chaque fois. Tout au long de ta vie, tu te souviendras de notre rencontre. Je suis puissant, je t’accompagnerai sur ton chemin. Si tu as besoin de moi, appelle-moi, ferme les yeux et ouvre ton cœur, je serai là ». Il se remémora le conseil de sa maman et se dit qu’elle aussi, elle avait certainement rencontré l’esprit de l’arbre, et cela lui donna le sourire. Il suivit les conseils du chêne, et ressentit tout de suite les effets du plantain. Quand il se releva, il découvrit une belle pierre rose comme un coucher de soleil au pied de l’arbre, et il l’a mis dans sa besace telle un trésor.

Il était temps de rejoindre les rochers et de se préparer pour la nuit. Il traversa la foret, marcha, marcha et réfléchit longuement aux paroles de l’esprit de l’arbre, en serrant sa besace contre son cœur. Son bras allait beaucoup mieux et il se dit qu’il avait vraiment bien fait d’écouter la petite voix. Il finit par arriver au soleil couchant au bord des falaises rouges. Son papa lui avait dit « grimpe prudemment, trouve une petite grotte et fais un feu pour la nuit ». Il s’exécuta, et s’installa le plus confortablement possible. Il était vraiment fatigué et il s’endormit devant les flammes qui dansaient. Sa nuit fut calme et son sommeil réparateur. Il fit un rêve. Un rêve étrange et très réaliste. Il grimpait au sommet de l’éperon rocheux et un homme l’attendait. Il était impatient d’arriver pour le retrouver. L’homme était de dos, et petit Indien se dit tout d’abord « c’est Papa !». Il avança encore peu puis se dit « mais non, on dirait Grand-Père ». Arrivé à la hauteur de l’homme, petit Indien mis sa main sur son épaule et l’homme se retourna. Et là, quelle surprise, cet homme, c’était lui, Petit Indien, mais il était adulte et même assez âgé ! Un énorme sourire creusait encore un peu plus les rides de son visage : « te voilà enfin, petit moi. Je suis si heureux de te voir, et si fier aussi. Tu as été fort, courageux et tu as écouté ton intuition. Tu ne te sentiras plus jamais seul, car tu sais maintenant que ta famille, ta tribu, tes ancêtres ainsi que tous les esprits de la Nature t’accompagnent. Tu as reçu de précieux conseils pour construire ta vie, ne les oublie jamais. Tu peux laisser derrière toi le prénom de Petit Indien, on t’appellera désormais  Aigle Doré. Belle et longue vie à toi, petit ». L’homme le serra vigoureusement dans ses bras, jusqu’à le soulever de terre et lui dit adieu en s’éloignant.

Lorsque Petit Indien ouvrit les yeux, le soleil était en train de se lever et il entendit un tambour au loin. Il se mit rapidement en route dans la direction des battements, et découvrit le chaman de la tribu au bord de la majestueuse cascade d’argent. Quel ne fut pas son étonnement quand il entendit le sorcier l’appeler du nom de son rêve. « Bravo, Aigle Doré, tu as réussi l’épreuve du passage ! »  Il avait atteint son but, et il allait pouvoir rentrer chez lui. Mais rien ne serait plus comme avant.

Le chemin du retour lui sembla très court, tout occupé qu’il était à écouter les enseignements du chaman. Ils traversèrent la forêt puis la plaine et arrivèrent au village. Tout le monde l’attendait pour fêter son retour. Les retrouvailles furent émouvantes et joyeuses, et chacun trouva que le nouveau nom de Petit Indien lui allait très bien.

Laurence Alsteen