Les mains vertes d’André Le Nôtre de S.Lombart

Il était une fois, un jeune garçon nommé André Le Nôtre. Il vivait dans une agréable villa située dans un pays très très lointain avec ses parents et ses trois frères et sœurs. De nature assez timide, André était un jeune homme solitaire dont la grande passion était la nature et plus particulièrement le jardinage. Il adorait se retrouver dans la forêt, ou à proximité d’un champs de blé. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout était de se retrouver les bottes aux pieds et les mains dans la terre en train de planter, bêcher, semer et regarder pousser légumes, fleurs, herbes aromatiques ou plantes exotiques. Il avait d’ailleurs ce qu’on appelle dans son pays, le don de la main verte. Dès que ses mains s’approchaient d’une plante, les bouts de ses doigts prenaient une teinte légèrement verte et huileuse, comme s’ils avaient été trempés dans de l’huile d’olive. Peu d’habitants du pays possédaient ce don qui leur permettait , au-delà de cette étrange transformation de leurs doigts, de faire pousser avec succès n’importe quelle plante qu’ils touchaient ou qu’ils plantaient.

Le jardin de la famille « Le Nôtre » était effectivement d’une beauté à couper le souffle. Un mariage harmonieux entre l’art et la nature avait donné naissance à un endroit splendide, où bosquets, sculptures, fontaines et parterres de fleurs donnaient tous ensemble une autre dimension à l’œuvre. Mais ce qui faisait surtout la fierté de la famille, et particulièrement celle d’André, était le potager. Il regorgeait de légumes et de fruits dont la saveur et l’odeur n’égalaient aucune autre. La récolte du potager était d’ailleurs prisée par les meilleurs restaurateurs du pays qui n’hésitaient pas à faire plusieurs heures de déplacement pour acheter les produits du magasin familial « Le Nôtre ».

Depuis son plus jeune âge, André avait appris à exploiter son don, d’abord dans le petit potager familial de quelques mètres carrés. Au fur et à mesure du temps, ses parents avaient acquis les terrains aux alentours pour lui permettre de développer son talent, remplir la marmite et la bourse familiale. André n’était pas particulièrement doué à l’école, il n’était pas un cancre non plus. Son esprit vagabondait souvent durant les cours de math ou de français et plutôt que d’étudier ou de faire les travaux demandés par ses professeurs, il passait tout son temps libre à veiller à l’humidité du sol, redresser un tuteur, enlever une mauvaise herbe, déplacer une plante nécessitant un endroit plus ombragé. Il s’évertuait même à supprimer chaque feuille morte qui entachait la beauté de son jardin.

Cela faisait toutefois quelques semaines qu’une plante intriguait André. Il ne l’avait pas plantée, elle était venue s’installer d’elle-même à proximité d’un plant de rhubarbe. Au début, il l’avait trouvée inoffensive et l’avait laissée pousser, curieux de voir ce qu’elle allait lui procurer. Cela arrivait effectivement régulièrement qu’une graine transportée par le vent s’installe dans son jardin et que sous le pouvoir de ses doigts elle s’épanouisse pour devenir une fleur d’une rare beauté, un légume ou fruit succulent. Toutefois, cette plante ne produisait aucun fruit ou légume, et aucune fleur ne semblait vouloir se développer sur ses pédoncules. Des tiges fines et nacrées poussaient de sa base, enroulant le plant de rhubarbe et de petites excroissances en forme d’entonnoir venaient s’accrocher à ses pétioles. Le plant de rhubarbe était affecté par la présence envahissante de cette plante et certaines de ses feuilles commençaient à flétrir. André avait donc décidé de la traiter comme une mauvaise herbe et l’avait arrachée de la terre. Toutefois, elle repoussait à chaque fois, et semblait de plus en plus forte. Elle se développait sous terre, formant comme un réseau souterrain de filaments, de petites pousses germaient et se fixaient toujours à proximité d’une autre plante hôte dont elles venaient puiser la substance nutritive. Quelques mois suffirent pour qu’André ne reconnaisse plus son potager. La culture était beaucoup moins riche, les fruits et légumes plus petits et moins nombreux. . Plusieurs mètres carrés du jardin avaient été dévastés et les mains vertes d’André n’avaient pas pu prévenir ces pertes.

André avait tout tenté pour essayer de s’en débarrasser. Il était même allé voir son voisin agriculteur,  Monsieur Roundup, pour lui demander son avis. Ce dernier lui avait bien conseillé un produit de sa création, mais à part détruire encore plus ses récoltes et faire fuir les abeilles de ses ruches, le produit n’avait pas permis de tuer la plante parasite qui semblait bien déterminée à continuer son invasion.

La famille d’André décida donc de se rendre chez un professeur de renom, le professeur James Allison, reconnu pour ses nombreuses recherches et pour la mise au point d’un traitement contre les plantes agressives. Après avoir écouté attentivement les informations et descriptions d’André, le professeur Allison l’informa que la plante qui dévastait son jardin s’appelait le «cerna». Le seul remède efficace reconnu contre le cerna était d’enlever l’ensemble des végétaux poussant à proximité et de traiter les autres plantes en leur appliquant pendant plusieurs mois un traitement à base de la poudre d’une pierre très précieuse et rare appelée l’hampoiricite. Le professeur Allison mit toutefois André en garde contre ce traitement car l’hampoiricite peut provoquer des brulures importantes pour les humains si ceux-ci la touchent ou si elle est mal dosée.

C’est donc armé de gants et d’un masque qu’André démarra le traitement. Le cœur lourd, il arracha les plantes, arbustes et bosquets poussant à proximité du cerna et commença à badigeonner les autres végétaux avec l’hampoiricite. Après plusieurs semaines toutefois, André ne constata aucune amélioration. La situation semblait même empirer. Le cerna continuait son évolution, alors que les légumes rescapés n’avaient plus aucune saveur, les arbres fruitiers ne produisaient plus aucun fruit et les jolies roses qui bordaient les allées du jardin courbaient la tête. Même les oiseaux qui chantaient auparavant à tue-tête semblaient avoir déserté le jardin. Outre le désespoir de voir la splendeur de son jardin décliner, la situation de la famille Le Nôtre devenait précaire. Ils ne pouvaient plus compter sur la vente des récoltes du potager et le traitement à l’hampoiricité était très onéreux.

André décida donc de combiner le traitement avec le don de ses mains vertes et il commença à ôter ses gants pour appliquer l’hampoiricite. Dès la première application, il ressentit une vive douleur au bout de ses doigts et après une semaine, il ne savait plus les bouger tellement ils étaient brûlés par la poudre de la pierre. Mais les soins semblaient porter leurs fruits. De nouvelles petites pousses vertes sortaient du sol, les arbres recommençaient à fleurir et le cerna commençait à manifester de nombreux signes de faiblesse. Encouragé par ces légers progrès, André poursuivit ses efforts en prodiguant, malgré ses mains meurtries, les soins nécessaires à son jardin sans les gants protecteurs.

Quelques années se sont écoulées depuis le début de cette histoire. Le jardin porte encore quelques stigmates du cerna et les mains d’André ont encore les séquelles des traitements. Mais on peut maintenant voir la terre verte vêtue de fleurs colorées de toutes formes et de toutes sortes, et entendre les oiseaux exprimer leur admiration pour les arbres majestueux dont quelques branches croulent sous le poids des fruits odorant, suivi du son de la rivière qui coule sur son pourtour.  Ce jardin procure un souffle de joie et le décrire avec des mots ne suffit pas.