Acacia, l’arbre roi
Cette histoire se passe il y a mille saisons sur les terres de mon arrière-grandpère, au milieu du Serengeti dans le beau pays de Tanzanie. Là-bas, partout où
les yeux se portaient, ils pouvaient voir d’immenses étendues d’herbes rases
jusqu’à l’horizon. Là-bas, la saison sèche pouvait durer plusieurs générations, et
le soleil puissant pouvait éloigner les pluies de longues années durant. Tu
pourrais croire, que sur ces terres, la vie était en endormie, engourdie par la
chaleur et la soif. Mais … c’était sans compter avec Acacia, le roi de la savane.
C’était un arbre, un arbre de toute beauté. Au milieu de cet univers horizontal, il
était comme le mât d’un grand navire, comme un phare sur cette mer d’herbes.
On disait que ses racines couraient sous la terre à des lieues à la ronde. Son
tronc massif était recouvert d’une écorce cuirasse ciselée noir et argent,
épaisse et solide comme la carapace de la tortue. Ses branches rigides et
souples à la fois, s’élevaient en ramure vers le ciel comme un delta végétal
formant dans cet espace hostile, une incroyable forteresse d’épines et de
feuilles sucrées que le vent faisait chanter.
Il se souvenait avoir vu un jour débarquer le petit peuple des fourmis, une longue
colonne sans fin de petits insectes bien disciplinés :
-Majesté, Majesté nous aimerions nous installer à tes pieds et fonder un
nouveau royaume pour notre petite Reine. Acacia avait accepté sans hésiter. Il
avait entendu dire que les arbres et les fourmis vivaient souvent en parfaite
harmonie. Elles s’étaient alors installées et couraient à longueur de journée sur
toute sa surface boisée pour ramener à la fourmilière, un miel délicieux, de quoi
faire vivre leur reine, qui ne sortait jamais. Acacia était satisfait de pouvoir
faire vivre ces toutes petites créatures, si solidaires et si organisées.
Un jour que la saison sèche n’en finissait plus, le roi Acacia vit arriver dans ses
branches une famille de babouins épuisée de chaleur :
-Majesté Majesté, accepterais-tu de nous héberger jusqu’à l’arrivée des pluies ?
Nous sommes fourbus d’une longue route, pas un baobab ou un figuier depuis des
jours. Nous ne sommes que dix, et tes bras de bois sont si larges et si
accueillants ? Tu es si fort, 10 babouins, tu ne sentiras rien …
Le roi Acacia réfléchit : “Adieu au calme du vent dans les feuilles” se dit-il, puis
il accepta, si heureux de pouvoir aider ces singes.
Un matin plus loin, le grand arbre distingua à l’horizon, de drôles de créatures
tachetées, au cou démesuré. Elles se déplaçaient maladroites perchées sur de
hautes et fines pattes. Chancelantes à chaque pas, jamais le roi Acacia n’en avait
croisé jusque-là … Quand elles furent juste sous lui, soulagées les girafes
demandèrent :
-Majesté, Majesté , Roi des arbres, accepterais-tu de nous faire profiter de ton
ombre et de tes feuilles sucrées ? Elles ont l’air si appétissantes et nous
sommes si affamées … quelques branches de plus ou de moins, quelle différence
? Tu es si abondant.
Le roi Acacia réfléchit. Il eut pitié. “Elles ont l’air plus calmes que les babouins,
et rien que mon feuillage d’en bas en sera raboté ” se dit-il … puis il accepta, si
fier de pouvoir aider ces girafes.
Plusieurs lunes plus tard, Acacia vit arriver de très loin, un grand nuage noir, et
de plus près immense nuée d’oiseaux étourneaux vint se poser sur sommet :
-Majesté Majesté, pourrais-tu nous prêter ton feuillage, en pleine migration,
nous ne nous reposerons qu’un moment.
Perplexe Acacia réfléchit. Il se dit “ Me voilà un peu usé du chatouillis perpétuel
des fourmis, un peu fatigué du bruit infernal de ces babouins, et drôlement
recoiffé par l’appétit des girafes” puis il se dit : “Si je refuse, que diront-ils de
moi, le du Roi des arbres, plus loin sur leur route ?” Finalement, le roi Acacia
accepta, inquiet du qu’en dira-t-on mais si flatté une fois de plus d’être sollicité.
Un matin plus loin encore, il vit l’horizon se transformer en ligne de poussière,
Acacia, fut contrarié … Qui donc encore pour le déranger, lui déjà si fatigué ?
Qui donc pour lui demander aide ou asile ?
Puis sa fierté revint et il se rappela … Il se rappela qu’il était considéré comme
le Roi de cette savane, il se rappela de sa stature, de sa solidité légendaire, de
sa générosité louée par tous … malgré son grand âge, il ne pouvait montrer ses
faiblesses, il était le roi des arbres, sa Majesté Acacia !!
Il ne trembla quand s’approchèrent les gnous par milliers, il ne trembla pas dans
le bruit assourdissant du sol martelé, il ne trembla pas quand la pluie de
poussière et de cailloux recouvrit sa ramure magnifique. Lui ne trembla pas …
Mais tous les animaux qu’il abritait se regroupèrent soudain collés serrés d’un
seul et même côté de l’arbre. Dans cette tempête fourmis, oiseaux, singes et
même les girafes s’agrippèrent aux branches dans un méli-mélo indescriptible, si
bien que déséquilibré le bel arbre finit par tanguer, par doucement se pencher
puis s’effondrer dans un gigantesque fracas … tous les animaux, désorientés,
affolés, prirent alors la fuite laissant là le roi Acacia déraciné et déchu …
Aujourd’hui encore, quand dans le feu, on dépose une branche morte de bois
d’acacia, les anciens racontent souvent cette histoire qui montre que toute aide
à l’autre, est une affaire de cœur et non d’égo et qu’il faut l’apporter pour les
“bonnes raisons” c’est-à-dire pour l’autre et non pour soi. Que pour dire oui, il
faut bien mesurer ses forces intérieures, sans se surestimer, sans se laisser
seulement guider par fierté. Que si Acacia avait su dire non à un moment ou à
un autre, il serait sans doute encore debout, et pourrait offrir pour longtemps
encore nourriture et ombre aux perdus de passage …
Cette histoire m’a été inspirée par un accroc dans ma vie professionnelle. en
larmes, totalement dépassée, un jour mon patron m’a dit : “Il faut cesser de
jouer à l’arbre à singes !”. J’ai mis longtemps à comprendre ds cette expression
l’importance de se ménager pour ‘durer’.