L’oiseau blanc et l’oiseau gris
Il était une fois un petit garçon intrépide, plein de ressources et d’imagination, qui s’appelait Thomas.
Thomas avait 10 ans, des yeux verts et des cheveux bruns en bataille car il prenait rarement la peine de les coiffer. A l’école sa matière préférée était le sport. Foot, course à pied, vélo, et surtout natation. Il aimait aller courir dans les bois, respirer l’odeur de terre et de sapins.
Thomas habitait une maison au toit rouge, dans un village de campagne, avec ses parents et ses deux sœurs. Il était le petit dernier, chouchouté par ses parents mais aussi parfois moqué pour ses idées farfelues de petit garçon.
Un après-midi de printemps, Thomas faisait ses devoirs assis à son bureau devant la fenêtre grande ouverte. L’air était doux, la brise sentait le soleil et l’herbe fraichement tondue. On entendait des pépiements d’oiseaux, des cris d’enfants, de temps en temps une voiture passait dans la rue.
Parfois Thomas levait la tête et rêvait en regardant l’horizon : les toits des maisons voisines, le terrain de foot à gauche, le bâtiment de la piscine juste à côté, la forêt au loin. Quelques gros nuages se déplaçaient lentement dans le ciel bleu, comme des gros navires paresseux. Dans le jardin, des écureuils montaient comme des flèches sur les troncs d’arbre puis disparaissaient dans leur feuillage avant de sauter dans l’arbre voisin
Thomas finit péniblement son devoir de math puis vérifia son journal de classe pour savoir quel équipement mettre dans son sac de sport pour l’entraînement du soir. Mais aujourd’hui, exceptionnellement, c’était repos, pas d’entraînements. Un moment surpris, Thomas se rappela pourquoi, et son cœur se serra :
Le lendemain commençait une semaine de compétition sportive entre plusieurs écoles. La compétition avait lieu chaque année et comportait plusieurs épreuves, dans des sports différents. L’événement se déroulait dans un immense complexe sportif, et de nombreux spectateurs étaient attendus. Thomas y participait pour la première fois et tant le coach que le directeur de l’école lui avaient bien fait comprendre qu’ils comptaient sur lui pour auréoler l’école d’une victoire, jamais remportée jusqu’à présent…
Depuis le début de l’année, les entraînements après les cours étaient intensifs et très fatigants. Parfois Thomas avait inventé une excuse pour ne pas s’y rendre. Il avait préféré aller au cinéma avec sa sœur ainée ou faire du roller avec son petit voisin.
Thomas s’inquiétait beaucoup à propos de cette compétition. Il avait bien disputé quelques matches, fait quelques courses relais avec ses camarades de classe mais demain, c’était autre chose. Des bâtiments inconnus, loin d’ici, des enfants jamais rencontrés auparavant, une foule au regard scrutateur, prête à relever la moindre faute. Et puis toutes ces épreuves, en cascade, tout au long de la journée. Allait-il trouver son chemin dans les couloirs, les vestiaires ? Et les courses, les matches… Était-il suffisamment préparé ? Comment être à la hauteur des espoirs de ses camarades d’équipe, de son entraîneur, de ses parents ?
Son imagination lui jouait un mauvais tour. Il se voyait déjà, le lendemain matin, fiévreux et empêché de participer à la compétition. Ou bien Il parvenait à trouver le bassin de natation mais son sac ne contenait aucun maillot. Ou encore il trébuchait dans l’escalier et se foulait le pied.
Petit à petit l’appréhension se transforma en une boule compacte dans son estomac. La boule grandit et sembla occuper tout l’espace. Thomas se sentit très fatigué, vidé de toute énergie. Les larmes se mirent à troubler son regard, toujours tourné vers l’horizon. Il cligna des yeux, les frotta, regarda à nouveau l’horizon et ouvrit la bouche, abasourdi. Sur le fond bleu du ciel se détachait un oiseau blanc majestueux, au bec doré, qui se dirigeait vers sa maison. L’oiseau ralentit, replia ses ailes et se posa avec fracas sur le rebord de la fenêtre. Il pencha la tête sur le côté et fixa un œil noir et rond sur Thomas. Rassuré, il sautilla sur le bureau, voleta vers l’étagère, puis s’installa sur le lit.
Thomas était tétanisé. La boule dans son estomac avait soudain disparu. Un autre danger, plus immédiat, faisait battre son cœur à la chamade.
L’oiseau blanc se mit à parler d’une voix mélodieuse :
« Mon ami Lili l’écureuil m’a dit de venir te chercher. Tout à l’heure je l’ai entendu crier de détresse. Je l’ai trouvé dans la rivière, tout près de son arbre préféré. Il est prisonnier au sommet d’un rocher, incapable de s’en détacher pour nager jusqu’à la rive. Les tourbillons sont sauvages, ils l’emporteraient comme un fétu de paille. Il m’a raconté qu’il était en train de cacher des pommes de pin, et avait glissé. De justesse il s’était accroché au rocher. Lili s’épuise et ne va pas tenir longtemps. Il faut le sortir de là. Monte sur mon dos, nous partons. »
« Moi ? » dit Thomas, complètement dépassé par les évènements. « Mais qui es-tu ? Et puis je ne sais pas nager dans le courant d’une rivière, je ne l’ai jamais fait ! Il faut demander à quelqu’un d’autre, prévenir les pompiers, des plongeurs, je ne sais pas moi ! »
L’oiseau blanc répondit : « C’est bien toi Thomas ? »
« Oui, mais… »
« Alors il n’y a pas de temps à perdre. Grimpe sur mon dos et tiens-toi bien. »
Thomas ne savait que faire. Impressionné par l’oiseau blanc, les pensées se bousculaient dans sa tête.
Un oiseau qui parle ?
Lili. Peut-être un de ces écureuils qu’il observait chaque jour grimper sur le chêne ? Pauvre Lili.
Il n’était qu’un petit garçon de dix ans qui nageait vite, parfois. Pour demain, il devait être en pleine forme, aller dormir tôt, il ne pouvait aller à la rivière maintenant, il était déjà tard….
Mais voler sur le dos d’un oiseau ! Voilà qui était extraordinaire, quelle aventure à raconter à ses copains…
Faisant taire ses peurs, sous l’œil encourageant de l’oiseau blanc, Thomas s’installa et ne sachant trop comment faire, passa ses bras autour du mince cou du volatile. L’oiseau chargé de Thomas eut un peu de mal à voleter sur le rebord de la fenêtre. Il ouvrit ses ailes et ils s’envolèrent tous deux vers le couchant, vers la forêt et la rivière. Le vent fouettait le visage de Thomas, il serra un peu plus fort le cou de l’oiseau et ne pensa plus à rien. Tous deux survolèrent le village, passèrent au-dessus de la petite école, de la grande école, de la piscine où Thomas avait passé tant d’heures d’entraînements.
Une colonne de fumée obscurcit leur vision, juste devant eux. En plissant les yeux, Thomas distingua tout en bas une grange d’où s’échappaient des flammes et une fumée dense et noire. On entend ait des hennissements de chevaux. Thomas oublia pourquoi il était là et s’écria, complètement paniqué :
« Des chevaux sont enfermés dans la grange en feu, il faut descendre et les libérer avant qu’il ne soit trop tard ! »
L’oiseau blanc répondit :
« Nous ne pouvons rien faire pour eux, j’ai vu des hommes courir vers la grange et un camion de pompiers est en route. Tout ira bien, ta mission est ailleurs. »
Thomas ne comprit pas pourquoi ils ne s’arrêtaient pas et se senti très triste. Ils traversèrent la colonne de fumée et sa gorge piquante le fit tousser pendant plusieurs minutes. L’oiseau blanc continua sa route, concentré.
Ils arrivèrent au-dessus de la forêt. La route qui traversait la forêt en ligne droite était peu fréquentée mais les rares voitures qui l’empruntaient roulaient comme des bolides sur un champs de courses. Thomas aperçut soudain un groupe de chevreuils se diriger vers la route, ils allaient la traverser d’un instant à l’autre.
« Ces chevreuils vont se faire écraser, il faut les arrêter !
L’oiseau blanc répond :
« Je connais le sentier invisible suivi par ces chevreuils, une fois par an. Ils vont en effet traverser la route mais un tracteur bloque les automobilistes de chaque côté pour garantir leur passage en toute sécurité. Nous ne pouvons rien faire, tout ira bien. »
A nouveau Thomas se senti coupable d’abandonner les chevreuils à leur sort. L’oiseau blanc poursuivi sa route, il ne faiblissait pas.
Enfin ils arrivèrent au-dessus de la rivière, un fil bleu sombre serpentant dans le tapis vert formé par les arbres plantés serrés, à côté du ruban gris de la route.
L’oiseau blanc dit « Nous sommes arrivés » et commença une descente vertigineuse. Thomas eu le souffle coupé. Il s’accrocha davantage et s’aplatit sur le cou de l’oiseau. Ils atterrirent en douceur sur les aiguilles de pin et les feuilles mortes. L’oiseau plia les pattes et laissa Thomas glisser de son dos. Ebouriffé par le vent et engourdi par le froid, Thomas fit quelques pas chancelants.
La rivière était juste là, impétueuse, violente. Un petit animal roux était agrippé à un rocher, tout près de la rive opposée mais trop loin pour sauter et la rejoindre. Il semblait frigorifié et complètement exténué.
« Lili ! » cria l’oiseau blanc. « Voici Thomas, comme tu me l’as demandé. Il vient te chercher ».
Lili ne répondit pas, ses forces l’abandonnaient peu à peu.
Soudain une autre voix s’éleva. Elle provenait d’un oiseau gris comme la cendre, au bec argenté, de la même taille que celle de l’oiseau blanc. Thomas ne l’avait pas encore aperçu.
« Je ne connais pas ce Thomas » dit l’oiseau gris. Tu ne vois pas que c’est perdu ? Le courant est trop fort, jamais il n’arrivera jusqu’à Lili. Personne ne peut l’aider.
L’oiseau blanc répondit « Rien n’est perdu au contraire ». « Lili m’a dit que Thomas est un excellent nageur. Il s’est beaucoup entrainé. Bien sûr il nage seulement en piscine mais… »
L’oiseau gris l’interrompit « Tu vois bien ! Il n’est pas assez préparé et ne connait pas la rivière. Le courant est fort, la lumière est faible, je vois bien que Thomas a déjà froid. Nous devons appeler quelqu’un d’autre, et vite ! »
Pendant cette discussion, Thomas observait la situation, qui en effet lui semblait désespérée.
Il échafaudait plusieurs parcours dans sa tête. Il n’avait jamais mis les pieds dans une rivière au courant si fort, jamais ses parents ne lui auraient permis une chose pareille.
La panique le gagnait, son esprit se vidait, il n’arrivait plus à réfléchir. Le peu de courage rassemblé pour arriver jusqu’ici semblait l’abandonner.
Il ferma les yeux et pris une grande inspiration, puis se relâcha lentement. Plusieurs fois. Comme le lui avait appris son coach.
Il ouvrit à nouveau les yeux et regarda autour de lui. Le temps semblait suspendu.
« En même temps », se dit-il, « si l’oiseau blanc est venu me chercher, si je suis arrivé jusqu’ici, ce n’est pas pour rien. Il doit y avoir une solution. Et puis cet oiseau gris, que sait-il de moi finalement ? Je vais lui montrer !»
Il observa à nouveau attentivement la rivière, le courant, les rochers, les troncs d’arbres le long des rives et réfléchit, préoccupé. Puis un sourire éclaira son visage, il commença à y croire.
Il enleva rapidement ses chaussures et ses vêtements les plus lourds, les déposa un peu plus loin près de la rive et se mit à courir en sens inverse, arriva à hauteur de Lili et le dépassa. Il choisit ensuite un accès facile et se mit à l’eau. Un instant surpris par le froid et la force de l’eau, Thomas se mit à nager lentement, économisant son énergie, utilisant une technique apprise à l’entraînement. Il se laissa porter par le courant tout en déviant vers la rive opposée pour rejoindre Lili. Il y avait des rochers à contourner, des gros morceaux de bois à éviter. L’oiseau blanc encourageait Thomas. L’oiseau gris se taisait.
Arrivé à la hauteur de Lili qui tremblait comme une feuille, Thomas l’attrapa doucement et le plaça sur sa tête. « Accroche-toi Lili, encore un petit effort ! » Lili empoigna les cheveux de Thomas, qui fit une grimace, évalua rapidement le trajet à parcourir et repris sa course, cette fois vers la pile de vêtements restée au bord de l’eau.
Quelques minutes plus tard il prit pied sur le rivage et s’écroula, épuisé, transi mais heureux. Lili lâcha ses cheveux, dégringola et alla se réfugier quelques instants dans un tas de feuilles au pied d’un arbre. Thomas se releva et se rhabilla en vitesse, ravi d’avoir pensé à retirer ses vêtements avant de se mettre à l’eau. Dès qu’il fut habillé, Lili s’approcha et sauta joyeusement dans les mains de Thomas. Thomas caressa la petite boule de poils frêle et chaude, encore un peu tremblante.
« Je te remercie Thomas, je sais que c’était difficile pour toi. » dit Lili. Je te donne cette pomme de pin, pour que tu te souviennes de ce que tu as accompli aujourd’hui.
L’oiseau blanc était là aussi, il avait suivi leur progression avec terreur mais aussi admiration.
Il tira de son plumage une plume blanche et la tendit à Thomas en disant : « Je te remercie Thomas, tu as sauvé mon ami. Nous avons n’avons pas pu gagner toutes les batailles, mais cette victoire est la tienne. »
L’oiseau gris tira lui aussi une plume, grise, la tendit à Thomas et lui dit : « Je te remercie Thomas, je te connais mieux maintenant. Je t’offre cette plume, en souvenir de ta persévérance.
Thomas pris les trois cadeaux et regarda autour de lui. Il se sentait encore un peu étourdi par l’effort, mais un grand sourire illuminait son visage. La rivière semblait s’être calmée, l’eau n’éclaboussait plus si sauvagement les rochers. L’oiseau blanc et l’oiseau gris se tenaient près de lui, le regard bienveillant. Lili déjà travaillait à rassembler d’autres pommes de pins. Le ciel, rose et violet à l’ouest, était magnifique.
Il ferma les yeux et respira profondément. Il se laissa un instant imprégner des odeurs de mousse et de sapin, le bruit d’un pivert au loin faisant toc toc toc contre un tronc, et tout près, le ruissellement de l’eau.
Quand il ouvrit les yeux, il était dans sa chambre, devant la fenêtre ouverte. Le ciel était rose et violet. Il entendait un pivert, et de l’eau qui coulait. C’était sa maman qui arrosait les parterres, juste en bas de sa fenêtre.
Sur son bureau, à côté de son journal de classe, une plume blanche, une plume grise, et une pomme de pin.